Bioéconomie 4 min

Bilan environnemental de la méthanisation agricole : une étude ACV inédite

COMMUNIQUE DE PRESSE - Le développement de la production de gaz renouvelables dans les territoires repose aujourd’hui essentiellement sur le procédé de méthanisation, technologie la plus mature*. Pour quantifier les impacts environnementaux de la production de biométhane issu des résidus agricoles, les experts d’INRAE Transfert, mandatés par GRDF, ont réalisé une étude ACV - Analyse du Cycle de Vie**. Cette étude d’une ampleur inédite s’appuie sur les travaux de plusieurs équipes de scientifiques d’INRAE. Elle compare les impacts de deux scénarios, l’un avec méthanisation et l’autre sans, dans différents contextes agricoles orientés vers la polyculture ou vers l’élevage. La méthanisation agricole est évaluée sur la base de 16 indicateurs clés. L’étude conclut à des impacts environnementaux majoritairement bénéfiques ou neutres en cas de méthanisation, avec des résultats contrastés selon les indicateurs analysés. Cette étude pose ainsi des bases solides pour assurer une bonne gestion environnementale des installations de méthanisation, et vient répondre à de nombreuses questions soulevées dans le rapport de la mission d'information sénatoriale*** publié cet automne.

Publié le 24 novembre 2021

illustration Bilan environnemental de la méthanisation agricole :  une étude ACV inédite
© Stéphane Compoint

L'Analyse du Cycle de Vie (ACV) permet d'identifier les principaux postes de pollution et les leviers potentiels d'amélioration lors de la réalisation d'un produit, processus ou d'un service.

Les 16 indicateurs ACV utilisés dans leur totalité pour la première fois dans une étude pour évaluer les impacts environnementaux de la filière méthanisation sont les suivants : changement climatique, destruction couche d’ozone, formation d’ozone photochimique, particules fines, acidification, eutrophisation terrestre, épuisement ressources énergétiques (fossiles et nucléaires), radiation ionisante, toxicité humaine avec effets cancérigènes et non cancérigènes, eutrophisation eau douce, eutrophisation marine, écotoxicité eaux douces, occupation des terres, épuisement ressources en eau, épuisement ressources métalliques et minérales.

 La méthanisation pourrait constituer un des leviers majeurs pour atteindre un mix de gaz 100% renouvelable dans les réseaux en 2050. Le développement de la filière méthanisation, intégrant l’injection de biométhane dans les réseaux gaziers, repose principalement sur la méthanisation d’intrants agricoles tels que les résidus de cultures, les effluents d’élevage et les Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique (CIVE). Ces substrats pourraient assurer 50 à 75% de la production de gaz renouvelable.

Un bilan environnemental sur les trois fonctions assurées par la méthanisation agricole

S’appuyant sur une analyse du cycle de vie (ACV), cette étude présente un bilan environnemental global de la méthanisation agricole en intégrant ses trois fonctions associées : production d’énergie, gestion d’effluents et fertilisation des sols. A la différence des autres voies de production d’énergie renouvelable telles que le photovoltaïque ou l’éolien, la méthanisation utilise des effluents (lisiers porcins, fumiers bovins, autres résidus agricoles) pour produire de l’énergie. Or le procédé modifie leurs caractéristiques, il faut donc surveiller l’impact environnemental des digestats produits en sortie pour fertiliser les sols. 

Les résultats de l’ACV avec méthanisation sont comparés au bilan environnemental d’un système sans méthanisation, équivalent en termes de fonctions et de services. Ce dernier regroupe l’utilisation du gaz naturel du réseau, l’emploi d’engrais industriels traditionnels et une gestion classique des effluents sur l’exploitation agricole.

16 indicateurs clés, des résultats majoritairement en faveur de la méthanisation

Le scénario avec méthanisation montre de meilleures performances sur 7 indicateurs pour le scénario « culture » et 9 indicateurs pour le scénario « élevage », notamment une amélioration de 60 à 85% pour le changement climatique, l’épuisement des ressources énergétiques, et la destruction de la couche d’ozone. Pour 5 indicateurs, les écarts ne sont pas significatifs. Les performances en retrait sur plusieurs indicateurs (notamment radiations ionisantes, épuisement des ressources métalliques et minérales pour les deux scénarios, et eutrophisation des eaux douces pour le scénario « culture »), s’expliquent notamment par un recours accru à l’énergie électrique, nécessaire au procédé de méthanisation. A noter que l’analyse détaillée des résultats montre que la qualité des eaux n’est pas dégradée localement.  

Vers un changement des pratiques agricoles : le rôle des cultures intermédiaires à vocation énergétique

Au-delà de l’utilisation des résidus de cultures végétales (pailles de céréales ou d’oléagineux, résidus de maïs, fanes de betteraves ou encore de déchets de sortie de silos), un des principaux enjeux d’un scénario de développement de la filière méthanisation repose sur le potentiel de mobilisation des CIVE, semées en période d’interculture entre deux cultures principales. Les CIVE étudiées ici (mélange de céréales immatures : triticale, seigle et avoine, résistants au gel et pouvant être conduites sans pesticide) répondent à des objectifs complémentaires de services écosystémiques, étendus à des critères agro-environnementaux : recyclage des éléments minéraux en cas de restitution de digestats, couverture des sols (anti-érosion) et piège à nitrates, ou encore le stockage potentiellement additionnel de matière organique et de carbone dans les sols qui est apporté par les racines, les chaumes et par le retour au sol des digestats.

Le développement des CIVE est tributaire d’une évolution des pratiques des agriculteurs et des conditions climatiques futures, en particulier pour ce qui concerne la gestion des ressources en eau en cas de besoin d’irrigation des CIVE. Ces nouvelles pratiques associées aux besoins techniques et économiques de la production de biométhane doivent rester compatibles avec le maintien de la production alimentaire des territoires en veillant à ne pas augmenter les impacts environnementaux de ces filières de production. Dans cette perspective, la méthanisation pourrait être un levier permettant aux agriculteurs d’adopter des nouvelles pratiques en cohérence avec la transition agro-écologique et énergétique.

La méthanisation, qu’est-ce que c’est ?

C’est un procédé biologique qui dégrade la matière organique en absence d’oxygène. Réalisée par des micro-organismes, la dégradation de substrats organiques en milieu confiné et contrôlé permet de maximiser la production d’un gaz, appelé biogaz, qui est majoritairement composé de méthane (de 55 à 70%). Dans le cas d’une valorisation en injection dans les réseaux gaziers, le biogaz obtenu va être épuré (les autres gaz du mélange gazeux vont être extraits pour ne récupérer que le méthane) afin d’obtenir du biométhane qui possède des caractéristiques identiques au gaz naturel. En sortie du digesteur, une matière, appelée digestat, est obtenue. Il s’agit d’un co-produit de la méthanisation au sein duquel sont conservés les éléments fertilisants (azote, phosphore, potassium), les oligoéléments (magnésium, zinc, …) et une matière organique stabilisée après l’action des microorganismes au cours du procédé de méthanisation. Ce digestat est un engrais organique qui peut être utilisé pour fertiliser des cultures ou amender le sol.

 

Des chiffres

Au 1er novembre 2021, 333 unités de méthanisation injectaient leur production de biométhane dans les réseaux gaziers, pour une capacité de production de 5 833 GWh/an[1]. La croissance de la production repose sur la capacité à mobiliser des ressources d’intrants en qualité et en quantité suffisantes pour la méthanisation. En additionnant l’ensemble des ressources mobilisables, l’ADEME a ainsi estimé qu’il serait techniquement possible de produire 60 TWh de biométhane en 2030 et 123 TWh en 2050 (ADEME, 2013, 2018c), soit 25% de la consommation actuelle.

Référence :

Esnouf A., Brockmann D., Cresson R. (2021) Analyse du cycle de vie du biométhane issu de ressources agricoles - Rapport d’ACV. INRAE Transfert, 168pp.

L’étude s’est appuyée sur les savoir-faire et les connaissances d’INRAE dans les domaines de l’ACV et de la méthanisation.

Pour aller plus loin, consultez notre dossier méthanisation

https://www.inrae.fr/bioeconomie/place-methanisation

* Technologie comparée à celle de la pyrogazéification et à l’électrolyse-méthanation (ou power-to-gas) (ADEME, 2018c)

** L’étude présentée remplit l’ensemble les exigences des normes ISO 14040 et 14044 relatives à l’ACV, incluant une revue critique réalisée par un panel d’experts indépendants.
*** Mission d’information « La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts » – présidée par Pierre Cuypers (LR), rapporteur Daniel Salmon (Écologiste-Solidarité et Territoires).  Rapport «Méthanisations : au-delà des controverses, quelles perspectives ? » n° 872 (2020-2021) - 29 septembre 2021.

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