Thierry Dahan, médiateur des relations commerciales : "Régler le problème des centrales d’achats européennes avant la fin de l’année"

Le médiateur des relations commerciales agricoles a été auditionné le 13 mars par les députés Alexis Izard et Anne-Laure Babault chargé d’une mission gouvernementale sur Egalim. Il donne à LSA plusieurs pistes de réforme, sur les centrales d’achats, sur les options dans les contrats et sur les coûts de production.

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Thierry Dahan, médiateur des relations commerciales :
Pour Thierry Dahan, il faut inciter les enseignes à signer une charte Egalim où elles s'engagent à négocier en France les produits issus de l'agriculture française.

LSA - Quel premier bilan faites-vous des négociations commerciales 2023-2024, achevées depuis le 31 janvier ?

Thierry Dahan - Nous avons traité une petite soixantaine de saisines, un nombre relativement proche de celui de 2023 mais avec une différence importante : une quinzaine de ces dossiers ont concerné en février des ruptures de contrat et la négociation des conditions du préavis dans les conditions de la loi de mars 2023, dite Descrozaille. La loi a bien fonctionné et les enseignes ont joué le jeu malgré des différences d’appréciation sur ce que doivent être les conditions du marché. J’ai un doute sur son bon fonctionnement sans l’intervention d’un tiers de confiance. En effet, la réussite tient à ce que les négociateurs ont accepté de fournir des informations confidentielles qui ont permis de les rassurer sur le fait qu’ils bénéficieraient de conditions commerciales équitables pendant la période de préavis. L’idée que j’en retiens est que, lorsque le dispositif Descrozaille est correctement appliqué, comme nous l’avons fait, personne n’a rien à gagner à aller à la rupture frontale.

Peut-on dire que la loi Egalim 3 ou Descrozaille est mort-née alors que se profile une nouvelle loi avec la mission gouvernementale ?

T.D. - Il n’y a pas d’Egalim 3, ni 4, ni 5. Il n’y a qu’une loi Egalim qui a connu deux étapes, la seconde étape de 2021 ayant, pour l’essentiel, rendu obligatoire des dispositions qui relevaient de la négociation en 2018. C’est une loi fondée sur deux piliers, la prise en compte des coûts de production pour la première mise sur le marché des produits agricoles, notamment à travers la contractualisation, et la marche en avant pour amener les coûts de la matière première agricole jusqu’au marché de détail. Ces fondements n’ont pas été remis en cause par les lois de mars 2023 et de novembre 2023 qui ne sont donc pas des lois Egalim. Il faut « resserrer les boulons » d’Egalim afin qu’elle fonctionne mieux mais la difficulté est que, par nature, elle met en place un dispositif qui restreint la liberté du commerce. Cette liberté étant protégée par la Constitution, toutes les mesures qui la limitent sont de nature législative. C’est un inconvénient. Même pour faire un ajustement technique, comme celui de l’option 3, on doit passer par la loi ce qui donne l’impression fausse qu’on réécrit Egalim.

Il faut « resserrer les boulons » d’Egalim afin qu’elle fonctionne mieux mais la difficulté est que, par nature, elle met en place un dispositif qui restreint la liberté du commerce.

LSA : L’article 1 de la loi de mars 2023 vise à faire respecter Egalim aux centrales d’achats européennes. Mais le député Frédéric Descrozaille a fait part du manque de moyens de l’Etat français pour la mettre en œuvre …

T.D. - Si ces centrales européennes étaient des centrales de référencement, elles ne poseraient pas de problème car elles serviraient seulement à regrouper des acheteurs pour établir un rapport de force dans la négociation avec les grandes multinationales de l’agroalimentaire. Mais elles se veulent centrales d’achat agissant comme des acheteurs étrangers, ce qui n’a guère de sens pour des produits fabriqués en France et vendus en France. En réalité, ce sont des achats fictifs sans transfert de marchandises. Dans le cas contraire, ils devraient d’ailleurs être considérés comme des exportations. Pourquoi toutes ces acrobaties ? Pour ne pas appliquer la loi française, notamment Egalim.

LSA : Les enseignes disent qu’elles appliquent Egalim même avec leurs centrales à l’étranger

T.D. - Les enseignes peuvent le dire mais qui pourra le vérifier ? Leur première demande avant même de commencer les négociations est d’inscrire dans le futur contrat que la loi française ne s’appliquera pas. Les mauvaises pratiques chassent les bonnes. Si on ne fait rien, tout le monde va s’y mettre et la loi Egalim va devenir une coquille vide plus rapidement qu’on ne le croit. Il faut régler le problème avant la fin de l’année. J’ai lu avec intérêt dans votre revue l’interview d’Emmanuel Besnier, le président de Lactalis, qui approuve l’idée, que j’ai émise avec d’autres notamment Thierry Cotillard, d’une Charte Egalim par laquelle les enseignes s’engageraient à négocier en France avec tous les industriels adossés à l’agriculture française. Pour les autres fournisseurs, qui sont non Egalim, on peut se permettre d’attendre les décisions des tribunaux. Que les enseignes qui se prétendent vertueuses annoncent publiquement qu’elles signeront cette Charte dès qu’elle sera proposée ou, à défaut, qu’elles prennent unilatéralement un engagement public équivalent et nous serons rassurés.

LSA : Qu’attendez-vous de la mission parlementaire ?

T.D. - Qu’elle propose des ajustements qui rendent Egalim plus simple et plus directif. Il faut assumer de ne pas tout renvoyer à la liberté de négocier lorsqu’on veut un résultat qui assure une équité entre les opérateurs. Les clauses de révision automatique, qui fonctionnent mal aujourd’hui, surtout en option 3, seraient à la main des industriels, annexées à leurs conditions générales de vente et, en échange, ces derniers abandonneraient l’option 3.

Aller vers des prix garantis pour tout le monde ruinerait la compétitivité de l’agriculture française, sans compter qu’il faudrait revenir à des politiques de quotas pour réguler les volumes.  Les accords interprofessionnels sont les meilleurs outils pour fixer ces coûts normatifs.

LSA : Vous militez pour une option unique ?

T.D. - Oui. L’option 1 n’est pas utilisée et n’est qu’une variante de l’option 2. Celle-ci fonctionne pour les PME qui ont un nombre limité de référence et peuvent gérer le ligne à ligne, mais elle impose un niveau de détail beaucoup trop élevé pour les plus grandes. Ce qui est d’ailleurs inutile puisqu’elles négocient leurs contrats par familles de produits. Enfin, l’option 3 est illisible pour l’acheteur et ne permet pas de faire fonctionner correctement les clauses de révision automatiques. Il faudrait imposer une nouvelle option unique que j’imagine à mi-chemin entre la 2 et la 3.

LSA : La question des coûts de production se pose : les indicateurs sont souvent basés sur des cours mondiaux qui ne garantissent pas les revenus des agriculteurs français…

T.D. - Les coûts de production dont on parle ici sont des coûts normatifs. Ils reflètent la situation d’une entreprise moyenne « normalement » productive assurant un revenu normatif convenable à l’agriculteur.  Aller vers des prix garantis pour tout le monde ruinerait la compétitivité de l’agriculture française, sans compter qu’il faudrait revenir à des politiques de quotas pour réguler les volumes.  Les accords interprofessionnels sont les meilleurs outils pour fixer ces coûts normatifs, dont on doit accepter qu’ils n’assurent pas toujours un revenu satisfaisant aux moins efficaces. La contractualisation reste l’outil à privilégier car elle permet de s’accorder sur le prix d’achat mais aussi, et je dirais même surtout, de garantir des volumes d’achat. La sécurisation des débouchés est essentielle pour une agriculture moderne qui mobilise de plus en plus de coûts fixes.

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