EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 1er février 2023, le Sénat adoptait à l'unanimité la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses.

Ce texte ambitieux, rédigé par le député Julien Dive, fixe, au nom de la Nation, un objectif de calcul des pensions de retraite des travailleurs non salariés des professions agricoles sur la base de leurs vingt-cinq meilleures années à l'horizon de 2026 et confie au Gouvernement la mise en oeuvre de cet engagement par décret.

En effet, fonctionnant selon un système par points, le régime de retraite des non-salariés agricoles tient compte, pour le calcul des pensions servies, de l'ensemble de la carrière, tandis que, dans les régimes alignés (salariés du secteur privé, salariés agricoles et travailleurs indépendants non agricoles), seules les vingt-cinq meilleures années sont retenues.

Il résulte de la combinaison de cette inégalité de traitement et de la faiblesse ainsi que de la volatilité des revenus agricoles des pensions particulièrement faibles, à hauteur de 840 euros bruts par mois en moyenne contre 1 531 euros pour l'ensemble des retraités de droit direct1(*), ce qui ne contribue pas peu à nourrir le légitime malaise de nos paysans.

Le texte adopté par le Parlement en février dernier prévoyait qu'un rapport, qui devait être remis dans le délai de trois mois, précise les modalités de mise en oeuvre de la réforme à venir, dans le respect des spécificités du régime d'assurance vieillesse des non-salariés agricoles et de la garantie du niveau des pensions et des droits acquis.

Ledit rapport2(*), communiqué au Parlement ce 30 janvier, soit près d'un an après la promulgation de la loi, ne permet pas de répondre à l'impératif de justice que s'est fixé le législateur.

De fait, à la demande du Gouvernement, ses auteurs ont concentré leurs travaux sur trois scénarios, à savoir :

- un scénario consistant à transformer le régime en régime par annuités et à appliquer la réforme aux seuls assurés affiliés à compter de 20163(*) ;

- un scénario consistant à liquider la partie de la carrière antérieure à 2016 sur la base des modalités de calcul actuellement en vigueur et la partie postérieure à cette année selon un système par annuités ;

- et un scénario similaire au précédent, mais ne retenant, dès 2026, que les meilleures années de la partie de la carrière postérieure à 2016 calculées au prorata de la durée de cette partie par rapport à la durée totale de la carrière.

Aucune de ces propositions n'est conforme à l'intention du législateur. En effet, le rapport rédigé par Pascale Gruny au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur la proposition de loi précitée indiquait clairement qu'à ses yeux, l'absence de perdant à la réforme constituait « une condition sine qua non à l'adoption » du texte4(*).

Or, d'après le rapport remis au Parlement, dont les chiffrages sont extrêmement fragiles5(*), les scénarios envisagés feraient respectivement, à l'horizon de 2040, environ 15 %, 50 % et 30 % de perdants, tandis que, pour une part très importante des assurés, la réforme n'aurait pas d'incidence sur le montant de la pension.

Du reste, il est quasiment fait abstraction du scénario évoqué dans le rapport de préfiguration d'une réforme du mode de calcul des pensions de retraite de base des non-salariés agricoles rédigé en 2012 par M. Yann-Gaël Amghar6(*) comme étant le plus favorable aux assurés et dont la commission des affaires sociales du Sénat avait retenu le principe.

En pratique, il s'agirait de calculer le nombre moyen de points acquis chaque année pendant les 25 meilleures années et de l'extrapoler à l'ensemble de la carrière, dans la limite de la durée de cotisation requise pour l'obtention d'une pension à taux plein.

Une telle réforme, qui concernerait les seules liquidations à venir, devait permettre une augmentation mensuelle moyenne du niveau des pensions de 47,70 euros. Du reste, seuls 1 % à 6 % des assurés devaient perdre à ce scénario, les pertes correspondantes devant s'avérer « très minimes » et étant liées à la limitation proposée par l'auteur de la base de calcul de la pension à la durée de cotisation requise pour l'obtention d'une pension à taux plein, qu'il ne paraît pas judicieux de mettre en oeuvre.

Étrangement, le rapport du Gouvernement n'évoque que très succinctement cette possibilité, se bornant à noter que « ces scénarios n'ayant pas été investigués en profondeur, la mission ne peut présenter d'élément précis sur les surcoûts éventuels » et que « les simulations de ces scénarios à partir de cas types ont permis de constater que, dans l'ensemble, ce type de scénario ne devrait pas produire de perdants, au pire conduirait à des situations stables et pourrait produire des gains pour une partie significative des pensionnés du régime des non-salariés agricoles, dès l'année 2026 d'entrée en vigueur de la réforme ».

En 2012, le coût de la réforme était évalué par M. Amghar à 472,2 millions d'euros par an à l'horizon de 2040, tandis que la branche vieillesse du régime des non-salariés agricoles devrait dégager un excédent de l'ordre de 800 millions d'euros en 20267(*). En tout état de cause, cette estimation devrait vraisemblablement être révisée à la baisse, dans la mesure où les revalorisations successives de la pension majorée de référence (PMR) et la création du complément différentiel de points de retraite complémentaire (CDRCO), intervenues depuis sa réalisation, absorberaient une partie du surcoût induit.

Aussi l'article 1er de la présente proposition de loi vise-t-il à inscrire dans le marbre de la loi le principe d'une réforme de cette nature en lieu et place des dispositions insuffisamment précises de la loi du 13 février 2023, qui habilitaient le Gouvernement à réformer le régime de retraite des non-salariés agricoles par décret.

Dans le même temps, il simplifie l'architecture du régime en unifiant la pension forfaitaire et la pension proportionnelle des non-salariés agricoles en une pension unique, calculée selon les modalités décrites plus haut.

Afin de permettre à la MSA d'intégrer ces nouveaux paramètres à son système d'information, il est enfin prévu que la réforme s'applique aux pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026.

Il s'agit donc d'apporter une réponse rapide et concrète au malaise de nos agriculteurs, qui doivent pouvoir profiter d'une retraite convenable à l'issue d'une vie de labeur.

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* 1 Drees, Les retraités et les retraites, édition 2023 (données 2021).

* 2 Alexandre PASCAL (Igas) et Éric TISON (CGAAER), Déterminer la pension de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années civiles d'assurance les plus avantageuses, janvier 2024.

* 3 Année la plus ancienne pour laquelle la Mutualité sociale agricole (MSA) conserve l'historique des revenus des assurés.

* 4 Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses par Mme Pascale GRUNY, sénateur (n° 276, 2022-2023).

* 5 Il est précisé que « les simulations réalisées n'ont concerné que quelques situations d'assurés exclusivement monopensionnés » et que « les résultats obtenus ne sont en aucun cas transposables à la population entière des non-salariés agricoles dans laquelle les monopensionnés représentent moins de 20 % ».

* 6 Yann-Gaël AMGHAR (Igas), Évaluation d'un passage à un calcul sur les 25 meilleures années pour les retraites des non-salariés agricoles, mars 2012.

* 7 Données communiquées par la CCMSA avant l'entrée en vigueur de la réforme des retraites de 2023.

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